ASDRUBAL COLMENAREZ Projets Interactifs Vernissage Samedi 2 novembre 18H Exposition jusqu’au 16 novembre 2013
Les Projets interactifs de Asdrúbal Colmenárez (Trujillo, Venezuela 1936) sont des propositions ludiques pour que le visiteur réfléchisse sur la relativité des choses, comme elles sont dans la réalité, en insistant sur l’ouverture à de nouveaux lieux de création.
Incroyablement clairvoyant, ses recherches ont tourné pendant près de quatre décennies autour du happening ou évènement, axe principal de l’art contemporain.
« Pour moi, le plus important est ‘l’événement’ qui se produit dans la relation œuvre-participant »[1]
Asdrúbal divulgue un art libéré, dont la beauté ne concerne pas les résultats de la création, mais le processus créatif, tel comme l’a désigné Nikolaï Taraboukine en 1923[2].
Il comprend que le devenir d’une proposition artistique acquière une magnitude exponentielle aux mains d’un sujet stimulé sensoriellement, doté d’outils déterminés et de certaines règles du jeu. Pour lui, le visiteur est invité à réaliser une lecture désinhibée face à ses pièces, qu’il manipule et même transgresse de façon désinvolte et sans limites, comme l’a été le geste inaugural de Murakami Saburo du Mouvement Gutaï en 1995.
Le fort sentiment ludique implicite des Projets Interactifs de Asdrúbal Colmenárez, fait partie de l’impulsion de l’Art Contemporain vers l’immatérialité, engendrant un évènement créatif.
À partir de la deuxième moitié du vingtième siècle, l’art a été un moyen pour mettre en évidence l’immatériel.
Les créateurs contemporains manipulent l’insaisissable favorisant une expérience en complicité avec un public qui perçoit, actionne et ressent les effets, faisant partie du spectacle dans lequel la lumière se transforme, se rétracte et se décompose en couleurs vibrantes qui surgissent et inondent avec leur aura la salle d’expositions ; d’autres artistes manipulent le son, la force de la gravité et la loi de l’attraction comme des matériaux pouvant être visualisés. D’ailleurs ils sont capables de mettre en évidence le vide qui peut être transpercé, exploré.
Asdrúbal Colmenárez condense l’essence de ces pratiques artistiques contemporaines et nous permet de prendre conscience que l’art interactif n’est pas nécessairement un produit de la technologie digitale, lié à une relation ordinateur-utilisateur. La ligne qu’il conduit vers l’interactivité découle du jeu qui favorise les interrelations immatérielles.
Les Projets Interactifs de Asdrúbal Colmenárez dépassent les limites du système informatisé qui crée « une habilité » et non « une capacité » (dans ce cas, la capacité d’entrer en relation intimement avec soi-même et physiquement avec l’autre).
Il est important de se rappeler que le principe « manipuler une pièce d’art en jouant » possède une empreinte fortement latino-américaine. Les premières pièces transformables à la main sont apparues dans les années quarante à Buenos Aires avec les fondateurs du Mouvement Madi (1946) : Gyula Kosice, Röyi et Carmelo Arden Quin avec leurs Coplanales. De son côté, la Brésilienne Lygia Clark proposait de plier et déplier ses précieux Bichos (1961).
Pour autant, Asdrúbal veut avant tout assumer de l’art une responsabilité pédagogique et sociale. Son appel à interagir, à socialiser et à créer à partir de ses pièces, représente un appel à l’action et au questionnement.
La même année de son installation à Paris où il est témoin du mai 68 français, Asdrúbal comprend la nécessité de forger l’esprit tourmenté du visiteur des musées, qu’il sollicite pour traverser sa propre dimension psychologique et la transformer en une expérience collective.
Il propose des nouveaux codes linguistiques, dont l’idée d’un Alphabet polysensoriel (1971-78), une méthode dépourvue de logique, qui recherche la désinhibition des capacités créatives et l’interconnexion des sensations du spectateur de n’importe quel âge et catégorie socio-économique.
Asdrúbal approfondit ses recherches artistiques autour de l’immatérialité propre à la statistique et aux champs magnétiques, en synergie avec différents artistes de sa génération.
Alors que le grec Takis présente ses sculptures magnétiques Télésculptures (1959) ; le brésilien Abraham Palatnik explore l’interaction du spectateur avec les champs magnétiques dans Mobilidade IV (1959) ; ou alors que Sérvulo Esmeraldo propose des dispositifs électrostatiques Los Excitables (1966) ; Asdrúbal Colmenárez propose Los táctiles psicomagnéticos (1969) comme technique psychothérapeutique.
Les pièces sont en constante métamorphose grâce à la docilité du magnétisme, qui existe dans un présent continu, sans la structure définitive, belles lorsqu’elles se succèdent aux mains d’un acteur qui adhère ou détache des bandes magnétiques sur une superficie restreinte.
D’après les paroles même de l’artiste : « L’action individuelle se dilue en une action collective ». Les Proyectos Interactivos génèrent une action imprédictible, qui disparaîtra aux mains d’un autre, laissant l’expérience créative immatérielle en témoignage.
En particulier, Los Psicorelativos (1980) suppose des expérimentations collectives, conformément à un mécanisme manipulable de rubans qui rentrent et sortent d’une boîte à lumière noire (comme s’il s’agissait d’un baby-foot), produisant des formes géométriques de couleurs fluorescentes : « holographie des pauvres », tel que lui-même l’a défini comme un clin d’œil innocent à ce qui le caractérise. Ces pièces mettent en avant une « créativité sociale » qui permet au visiteur de réinventer sa propre expérience par rapport à l’autre.
Asdrúbal Colmenárez vit et travaille à Paris, alors qu’il reconsidère la question de « l’essence » de l’humain face à la technologie et nous invite à continuer de jouer à être nous même.
Elisa RodrÃgues Campo
[1] « Para mÃ, lo más importante es el ‘evento’ que se produce en la relación obra-participante », Asdrúbal Colmenárez, Catalogue Tactiles Psychomagnetiques, 1969
[2] Nikolaï Taraboukine Le Dernier Tableau. Du chevalet à la machine (1923)

ARTPLATEFORME projet 12, rue Thorigny 75003
